Elias Njima
J’espère que tu vas bien.
Vernissage le vendredi 01 mars 2024 dès 18h00
Concert d’Ankerboy le vendredi 01 mars 2024 dès 20h00
Elias Njima (n.1994) vit et travaille à Genève. Après une formation de graphiste au CFPA Genève, il part en 2014 à Amsterdam et obtient un bachelor en Arts visuels à la Gerrit Rietveld Academie en 2018. Aux Pays-Bas il développe un language pictural mélangeant des influences locales et contemporaines qu'il voit de près, avec d'autres provenant de ses pays d'origines laissés derrière, en se concentrant sur la recherche d'une espèce d'étrangeté familière. Depuis son retour en Suisse à la fin de l'année 2020, il décline également sa recherche dans le domaine de la sculpture, notamment de la céramique.
Son travail a été exposé aux Pays-Bas (Galerie Ron Mandos), au Danemark (Galleri KANT) et en Suisse (Gallery Ann Mazzotti, Espace Labo, Zabriskie Point...) entre autres.
La première fois que j’ai découvert le travail d’Elias Njima, je l’ai vu en tout petit: des images formatées, cadrées et bien alignées à l’intérieur de mon écran de smartphone, peuplées de visages qui semblaient s’interroger, animées par une nature foisonnante et quelques objets du quotidien dans lesquels se cachaient des yeux et parfois des sourires. J’ai trouvé aussi un texte de Jasper Coppes1 qui abordait des questions liées au portrait, accompagné d’une peinture d’Elias: deux fleurs au centre d’un paysage forestier et nocturne. L’une d’elle serpente autour de l’autre, ouverte, épanouie, découvrant son visage au pistil proéminent, légèrement caricaturale. Cet aperçu était à la fois précis et lacunaire, familier et impalpable.
Je suis donc allé voir le travail d’Elias à l’atelier. Les peintures à l’huile, les céramiques et les gravures résonnaient entre elles pour former quelque chose que je pouvais toucher du bout des doigts et qui pourtant m’échappaient comme un mirage. Je me retrouvais au milieu d’une mémoire, (la mienne?) dont il aurait choisi un morceau, et ce morceau était imaginaire. C’est à ce moment-là qu’Elias m’a parlé des «fleurs bleues» de Raymond Queneau, un roman qui a marqué sa jeunesse et qui est basé sur un apologue2 chinois: «Tchouang-tseu rêve qu'il est un papillon, mais n'est-ce point le papillon qui rêve qu'il est Tchouang-tseu?».
Elias m’a montré ses livres sur les fleurs et ceux sur les champignons. Puis il m’a montré un livre sur les marchés aux puces et aux légumes de Genève. On y voit des scènes générales de marché au milieu desquels se passent parfois des échanges. Elias s’applique à repérer de minuscules détails, presque visuellement cryptés, qu’il peint ensuite en grand, leur amenant un cadre. Lors de ma deuxième visite d’atelier, Elias m’a présenté une peinture à l’huile où deux mains au premier plan s’échangent une forme ronde, blanche et assez petite. A priori il s’agit d’une pièce d’argent. Il y a en arrière-fond un motif tout en courbes que je définis mal mais qui donne à l’ensemble une sensation d’irréalité: n’est-ce pas la lune qui passe d’une main à l’autre? Ou n’est-ce pas une simple forme évidée, une ellipse au milieu de tant de peintures et de terres? Et si tout le dispositif narratif qu’Elias a mis en place se résumait dans cette petite forme blanche qu’il tente de faire passer d’une main à l’autre, de lui à nous et de Tchouang-tseu au papillon?
Elias a choisi d’intituler sa prochaine exposition à standard /deluxe «J’espère que tu vas bien». Il m’explique que «le dire ce n'est pas vraiment aller aux nouvelles, la phrase commence et termine une conversation, elle n'attend pas de réponse. Ce n'est pas non plus faire quoique ce soit pour s'assurer que son destinataire aille bien, on espère simplement que cela soit le cas. Le cas échéant importerait peu après tout, il serait presque déplacé d'y répondre: “eh bien figure-toi que non et laisse-moi t'expliquer pourquoi...”. L'envoyeur disparaîtrait sans bruit. En fait c'est une phrase qui exprime presque le contraire de ce qu'elle veut dire.»
C’est tout le paradoxe qu’Elias explore en ce moment dans son travail. Cet énoncé clos, circulaire, allant tout seul du début à la fin d’une conversation intime sur l’autre et n’amenant qu’à soi, introduit une nouvelle dimension dans le travail d’Elias, celle de la proximité. Les peintures qu’il a réalisées dernièrement semblent parler d’un hors champ, ou plutôt d’un hors toile. Ses portraits de famille gravés et ses nouvelles céramiques reprennent des figures trouvées dans ses dessins ou peintures plus anciennes, mais avec une nouvelle facture.
Je continue pour ma part d’imaginer qu’Elias essaye de redonner ce qui a été enlevé.
Corine Cretton