Gabriela Löffel
the easy way out
Vernissage vendredi 5 novembre 2010, à 18h le vendredi 05 novembre 2010 dès 18h00
La scène est celle du comptoir du bar d’un hôtel en Bavière situé en bordure du plus grand camp d’entraînement de l’armée des Etats-Unis d’Amérique en dehors de leur sol…
Ouvertures: 5, 6, 12, 13, 19, 20 novembrede 14h à 18h et sur rendez-vous
Finissage le vendredi 19 novembre à 19h30
Discussion avec les interprètes qui ont participé au projet
dès 21h:
Performance Musicale
Pussygalhore FC
Newproject – Electrosameshitagain – "Aweekexperience"
Randomrelease – (the Worst Cunning Plan)
La scène est celle du comptoir du bar d’un hôtel en Bavière situé en bordure du plus grand camp d’entraînement de l’armée des Etats-Unis d’Amérique en dehors de leur sol. Se retrouvent là un soldat américain de retour d’Irak, la propriétaire de l’hôtel et une vendeuse de voiture. Leurs échanges vont en tournant autour de la base voisine se porter sur la guerre, la politique de l’administration américaine et, comme autour de tout comptoir, sur le monde comme il va.
Le camp apparaît comme le fondement de ce dernier travail de Gabriela Löffel et permet d’articuler une réflexion autour de la parole dans la vie de tous les jours comme dans les sphères moins accessibles des cercles de décisions internationaux. Mais revenons au camp et ce qui semble se nouer autour de ses limites : une frontière entre les espaces de la guerre et du quotidien, entre une juridiction militaire et une juridiction civile ; un univers où la vie est mise en jeu pour essayer de préserver cette même vie. La ligne de démarcation entre ces différents espaces ne suit pas scrupuleusement les fils de fers barbelés qui empêchent les civils de pénétrer dans la base, elle est perméable. Si on ne peut pas y pénétrer sans autorisation, quelque chose du camp en sort et réorganise la vie dans les environs proches. De plus, une des justifications de ce camp américain en territoire allemand, de nos jours, répond à une logique d’exception et d’urgence : les guerres qui ont été qualifiées de préventives (ou froides si on regarde un peu plus loin), où la question de l’insécurité amène à revoir le droit international. Et c’est bien en partant du camp, de ses ambiguïtés et de ses frontières que l’artiste a conçu cette installation vidéo.
La séparation dont il est question dans « The easy way out » suit une autre ligne que celle imposée par cette géographie particulière, c’est celle de la langue. Le soldat parle anglais, la vendeuse de voiture anglais et allemand enfin la propriétaire de l’hôtel anglais, très peu, et allemand. Mais chaque personnage se situe différemment sur le plan du camp et de son paysage, l’usage du langage et les prises de positions répondent à des régimes différents. Les problèmes liés à la traduction et la transcription se posent donc : comment dans un premier temps se comprendre et ensuite s’entendre. Quel dispositif mettre en place pour essayer d’annuler le différend entre la parole de guerre et celle de paix, sur quel terrain faire se rencontrer des opinions aussi tranchées que celle du soldat qui obéit aux ordres et de celui, ou plutôt, de celle en l’occurrence, qui les conteste sans avoir à y obéir ?
Pour tenter de dénouer les fils de ce discours, Gabriela Löffel a filmé des interprètes professionnels : coupés de la scène, ils sont assis chacun dans un box individuel gris, casque d’écoute sur la tête, stylo à la main et micro en face d’eux. Un homme et deux femmes traduisent en simultané l’enregistrement que l’artiste a fait de la conversation entre le soldat américain et les deux femmes au comptoir du bar de cet hôtel bavarois.
Le cadrage est le même pour tous, ils nous font face, projetés sur trois écrans côte à côte. Nous ne verrons pas les protagonistes de cette scène de comptoir, les interprètes comme au théâtre donnent une voix et surtout un corps à ces paroles. « The easy way out » s’inscrit à la suite d’une production où la vidéo et la performance s’entrecroisent, grâce à une caméra qui scrute sur des corps, hommes et femmes, les comportements face à des situations de contraintes souvent sociales. Ici est mis en œuvre l’effet d’un discours au travers du corps des interprètes faisant passer le discours d’une langue vers une autre, du statut de discussion libre à un langage plus normé. On peut alors observer les yeux perdus à la recherche d’un fil qui nous échappe, les mains qui allient le geste à la parole, le retard sur le discours à traduire.
On ne peut pas alors ne pas penser à l’ordinaire du travail des interprètes, plus habitués à retranscrire les échanges de diplomates dans des réunions internationales. Ils se retrouvent là mis en lumière à donner corps à une conversation à trois voix entremêlées. L’opération simple mais efficace de Gabriela Löffel est de les séparer et de ne faire entendre qu’une à une les traductions françaises de chacun des locuteurs originaux. La discussion perd alors sa qualité d’échange, les positions se figent en même temps que se défait le discours dans la mesure où nous n’avons pas accès en direct aux réponses et réactions des autres. Seuls nous parviennent, sans pouvoir réellement les suivre, des bribes de ce que le voisin de box traduit.
D’interprètes, ils deviennent acteurs sous l’effet de ce qui devient un monologue à trois, où l’on suppose que le silence de l’un correspond au temps de parole d’un autre, mais ce temps n’est pas le temps, comme dans une discussion, d’écoute pour répondre, il résonne plus comme un vide. Le lieu d’échange, ce lieu qu’on suppose être celui de la diplomatie est ainsi mis à nu.
Gabriela Löffel nous propose un paysage sonore et visuel (installation vidéo, sonore et photographies). Sa démarche débute par une sorte de reportage à contre sens. Elle se rend d'abord dans un camp militaire américain au sud de l'Allemagne, puis dans les villages environnant le camp. Elle capte des images de ces zones du territoire d'entrainement de guerre, et restitue aussi un dialogue enregistré au coin d'un bar du village. Ce dialogue finira par prendre le statut d'un discours officiel grâce à un dispositif complexe visible dans l'espace d'art contemporain standard/deluxe.
Dans cette installation vidéo, des interprètes, qui oeuvrent habituellement dans l’ombre de diplomates et de politiciens restituent la conversation entre un soldat américain qui revient d’Irak, une propriétaire d’hôtel et une vendeuse de voitures. A l'image du traducteur, le spectateur n'entendra que des réponses isolées et prend acte d'un réel en lien avec la guerre, mais fragmenté, loin des évocations spectaculaires qu'en font les journaux. Il est ici question de la langue en tant qu’outil, des enjeux et des conséquences de son maniement, notamment dans le champ politique.
« Que celui qui a quelque chose à dire s‘avance et se taise! »
Karl Kraus, dans «In dieser grossen Zeit» Die Fackel Nr. 404, décembre 1914
L'artiste désire remercier: l'Abteilung Kulturelles de la ville de Berne, l’Office de la culture (OC) du canton de Berne et du Migros pour-cent culturel.
Projet réalisé avec l‘aide de l‘école de traduction et d’interprétation ETI, Genève. Avec la participation de: Nathalie Loiseau, Sophie Hengl et Benoit Kremer.